Newsletter du mois de Novembre 2019

Pas convaincus

Chers amis,
Après les annonces du président de la République suite au Grand Débat National qui a mobilisé des millions de Français dans un grand exercice démocratique, une chaîne de télévision faisait réagir à chaud un gilet jaune gonflé par la présence d’une trentaine de ses collègues derrière lui. Sa réaction : « il ne m’a pas convaincu ».
Après le discours de politique générale du premier ministre à la tribune de l’Assemblée nationale, les chefs d’opposition, se succédaient mais n’étaient pas convaincus.
Peut-être l’avez-vous remarqué aussi, c’est devenu la grande expression pour commenter à chaud un plan ou des mesures que vient d’annoncer un responsable politique.
Qui a t-on convaincu ? Le grand public ? Le grand public est tout juste en train de lire ou d’entendre, il ne peut pas encore dire s’il est ou non convaincu.
A-t-on convaincu son opposant ? Et bien non ! Car par définition, un opposant s’oppose. C’est malheureusement le jeu des postures politiques. C’est à celui qui sera le plus brutal qu’on accordera le plus haut rang d’opposant.
A-t-on convaincu les syndicats ? Certains se sont sentis dépassés par le mouvement des gilets jaunes. Ils ont désormais intérêt à montrer qu’ils sont les meilleurs défenseurs de leur cause. Et tous ces « pas convaincus » se donnent rendez-vous dans une grande manifestation, pour faire peur et gagner en influence et en pouvoir dans leur propre écosystème.
C’est pour cela que certains, dont la CGT, font circuler de fausses informations sur la retraite et suscitent l’inquiétude chez leurs adhérents en jouant sur les peurs. Je pense à ce message qui circule faisant croire que ce serait la fin du régime par répartition pour entrer de plein pied dans un régime par capitalisation. C’est faux. Il s’agit toujours d’un régime par répartition, où les actifs financent les pensions des retraités. Mais autant se le dire, après le retrait de son projet par Alain Juppé en 1995, si ce projet-ci devait échouer, quelles seraient les options des futurs dirigeants ?
On lit aussi que cette réforme pénaliserait les femmes. En quoi accorder une majoration de 5% des pensions de retraite aux femmes dès leur premier enfant pénaliserait les 5 millions d’entre elles qui font un ou deux enfants ? Cela fait donc 8 millions de bénéficiaires au lieu des seulement 3 millions actuellement, qui ont eu trois enfants ou plus.
Le 5 décembre, on retrouvera dans la rue des gens qui ne revendiquent rien de commun. Des personnels de la RATP, SNCF, d’Air France attachés à leurs régimes spéciaux, à côté de routiers qui revendiquent la défiscalisation du carburant à l’usage des professionnels, de gilets jaunes qui m’ont dit pendant de longs débats qu’ils étaient écologistes et que c’étaient aux entreprises de payer la taxe carbone, de personnels d’hôpitaux en détresse car le plan hôpital n’a pas encore produit ses effets, d’enseignants qui s’inquiètent de l’intégration des primes dans le calcul des retraites alors qu’ils n’en perçoivent que très peu, d’étudiants qui se plaignent de vivre dans la précarité… et puis on aura le Rassemblement National et le Parti Socialiste aussi défilant dans les mêmes rues…
Et tous ensemble ils veulent faire plier le gouvernement… mais sur quoi au juste ?
D’autres syndicats, CFDT et CFTC par exemple, ont décidé d’expliquer cette réforme complexe, et de dire à leurs adhérents ce qu’ils trouvent bon ou moins bon. En effet, si le sujet était simple, d’autres l’auraient réglé depuis longtemps. Et si ce n’était pas nécessaire, nous nous serions bien gardés de nous y attaquer. C’est nécessaire, car cumulé, le résultat total des 42 régimes de retraites est déficitaire. Ce déficit cumulé est estimé entre -7 milliards et -17 milliards d’euros par an.
Le système est complexe, car sans faire de l’archéologie de lutte des corporations, depuis 1945 à nos jours, il est impossible de légitimer un système dans lequel, faisant le même métier, un chauffeur de bus à Grenoble partirait en retraite 10 ans après un chauffeur parisien. Ni d’expliquer que cela n’est possible que si le chauffeur grenoblois finance la caisse de retraite du chauffeur parisien.
C’est cette génèse des régimes spéciaux qu’interroge la refondation des systèmes de retraite. Ce sont les corporations qui ont obtenu au fil des décennies des droits et avantages particuliers. Parce qu’ils sont organisés, ils ont toujours été mieux représentés. Mais ceux qui ne sont pas syndiqués, principalement dans le secteur privé et particulièrement dans les petites et moyennes entreprises ; ceux qui ont eu des carrières hachées, par le passé bien souvent les femmes, désormais beaucoup de salariés, n’ont jamais vu personnes se battre pour leur retraite. Jusqu’à aujourd’hui.
Ne rien faire au prétexte que « seulement » 3% des salariés relèveraient des régimes spéciaux est un argument aberrant, surtout provenant d’un député LFI normalement attaché à l’égalité. Et c’est oublier que cela coûte au moins 8 milliards d’euros aux autres salariés, tous les ans.
En suivant ce raisonnement, nous n’aurions pas, dès le début du mandat, aligné le régime des retraites des députés sur celui de la fonction publique. Nous avons en effet décider de rallonger, immédiatement, la durée de cotisation jusqu’à 40 ans, pour percevoir une retraite à taux plein, et à 43 annuités dès 2033.
Les régimes autonomes, qui eux s’autofinancent depuis toujours, sont inquiets que leurs excédents, fruit de leurs seules cotisations, souvent très élevées, puissent leur échapper. Il est évident, mais probablement utile de le rappeler : le système de transition qui doit conduire au système cible doit laisser le temps à chacun de s’adapter et d’intégrer les nouvelles règles du jeu. La durée de cette transition est pour eux un élément crucial de la négociation, nous l’avons bien compris. Deux ans de concertations, 350 rencontres sur tous les territoires avec toutes les professions nous l’ont bien fait comprendre. Le temps consacré à une telle méthode démontre le souci que nous avons de tenir compte de chacun.
C’est aussi la capacité de ces régimes autonomes à rester excédentaires éternellement qui est interrogée. Car la pyramide des âges ne joue pas en faveur de tous. Et les évolutions technologiques et écologiques pourraient très bien révolutionner des métiers, déstabilisant le modèle économique de ces caisses autonomes.
Alors, oui ! Nous sommes dans un moment crucial où défilent ensemble des personnes opposées aux systèmes universels avec ceux qui veulent peser dans la négociation sur les conditions du système transitoire. En revanche, n’oublions pas que ceux qui ne défilent pas sont ceux des actifs les moins organisés et aussi les plus vulnérables. L’intérêt général doit guider les négociations à venir.
En attendant, moi, je ne suis pas convaincue qu’une grève illimitée, déclarée dès septembre, tire les négociations vers le haut. En revanche, je suis convaincue que cette refondation du système de retraite vers un modèle universel, plus juste, plus lisible et plus solide est une absolue nécessité !
Votre députée,
Caroline Abadie